De Verviers au monde entier, Hind Rabii illumine les intérieurs des particuliers tout comme des professionnels. Depuis plus de 25 ans, la créatrice de luminaires chapeaute une production haut de gamme réalisée dans ses propres ateliers. À taille humaine, une créativité extraordinaire…
D’ingénieure dans l’univers textile, comment êtes-vous « entrée » dans le design de luminaires ?
J’ai toujours eu une passion pour l’architecture : les esthétiques modernes, comme celles de Le Corbusier, puis celles de Jean Nouvel et tant d’autres. Pour moi, les plus beaux designs sont ceux des architectes car ils comprennent les espaces à vivre. De mon côté, je suis entrée dans le design presque par hasard… Après mes études d’ingénierie financière au Maroc, où je suis née, je me suis installée en Belgique où mes oncles m’ont proposé de travailler dans des usines textiles dont ils avaient la charge (Verviers fut un centre industriel lainier historique dont la réputation remonte à la révolution industrielle). La mode m’a ensuite intéressée et j’ai trouvé que le design d’objet pouvait me permettre de combiner création et technique.
Vous avez fondé la marque qui porte votre nom en 1997. Quel est votre best-seller ?
La marque a grandement évolué depuis sa création, mais parmi les modèles du catalogue demeure la série Belle d’I, qui tire parti de la forme verre traditionnel marocain (le Beldi, utilisé notamment pour boire le thé), et qui est désormais produit en aluminium et en différents coloris. La gamme Esprit Ya-Ya, sculpturale, est aussi devenue emblématique, ainsi que Half & Half d’Alain Gilles, un des designers avec lesquels nous collaborons.
Vous vous êtes aussi liée avec d’autres designers, belges, italiens… Quelle relation entretenez-vous avec eux ?
Il y a en effet Jean-François D’Or et le studio du duo Alfredo Chiaramonte et Marco Martin, ainsi qu’Alberto Nason, originaire de Venise. Les designers avec lesquels j’aime travailler sont ceux qui prennent le temps de la réflexion d’un design qui fait vraiment sens pour la marque et son univers, et pas qu’un produit de plus pour le marché déjà très concurrentiel du luminaire.
Vous au design, votre mari à la technique, comment travaillez-vous ensemble ?
Mon époux, Michel Orban, développe l’entièreté de notre catalogue de luminaires en interne, du design global du produit et ce, tel que le designer (moi-même ou d’autres) l’a imaginé. Aussi, il met au point n’importe quelle accroche, la moindre pièce technique qui donne vie au dessin… La 3D est bien évidemment présente dans le processus mais l’essentiel reste manuel : on fabrique des moules, on peaufine des formes, on les teste, on s’adapte aux certifications internationales dans le domaine de l’électronique… Pour cela, Michel aime rester à l’ombre de la lumière pour ainsi dire : son dada est le développement technique.
Vous aimez les matériaux plutôt durs comme le laiton, le verre et l’aluminium. Quels matériaux n’avez-vous pas encore travaillé ?
J’aime œuvrer à partir de matériaux qui ont du caractère, ce pourquoi je n’aime pas le plastique. La matière doit être agréable, douce, ou surprenante, originale, pour permettre de délivrer une émotion et de se confronter à différents intérieurs, eux-mêmes dans d’autres matières, avec des textiles, du bois… En textile, j’apprécie ce qui se trame derrière le Jacquard, sa complexité. Côté bois, déjà eu l’occasion d’expérimenter avec le chêne. Aujourd’hui, je travaille notamment le fer ou encore la fibre de verre.
La personnalisation des modèles que vous présentez est centrale dans votre offre…
Parce que chaque intérieur ressemble à celui ou ceux qui l’habitent et que les gestes et les détails auxquels nous accordons de l’importance au quotidien sont différents, j’ai toujours voulu proposer un service de personnalisation à mes clients, pour chaque ligne Hind Rabii (typologies, dimensions, hauteurs, fixation, finitions…). Je trouve cela évident et normal pour une production haut de gamme comme la nôtre.
La production en circuit-court en Europe est aussi importante pour vous. Parlez-nous en.
Oui, absolument. On produit tout ce qu’on peut faire en Belgique, dans nos ateliers à Verviers, mais le verre vient de Murano. En règle générale, nous privilégions l’Europe pour toute provenance de composants électroniques (Allemagne, Pays-Bas…). Notre souhait est de pouvoir maîtriser l’ensemble de la chaîne de production pour être responsable.
Quel est l’avantage d’être installé en Région wallonne ?
Il n’y a pas vraiment d’avantage à être ici, à part de se situer dans une position centrale : non loin de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la France. Ce qui me fait plaisir est de recevoir des clients internationaux à Verviers. Je suis fière d’être installée en Wallonie. J’ai beaucoup d’espace et de liberté à y travailler. Et quand je participe à des foires professionnelles à l’étranger, je suis heureuse de parler français, alors que beaucoup de mes confrères du métier sont néerlandais. La Belgique est multiple et doit chérir tous les profils en design ! C’est sa force.
Échangez-vous avec vos pairs et confrères en bons voisins ?
Davantage, car on reste peu de marques et de designers de Wallonie. On s’influence aussi peu et chacun à sa personnalité. La Belgique n’est pas les États-Unis et Bruxelles, n’est pas New York, mais on peut quand même bien percevoir les tendances internationales nous influencer ici. Le tout est de rester droit dans ses bottes.
Quelle est votre équipe à vos studios de Verviers, où chaque lampe est montée et assemblée ?
Il y a Michel et moi, une assistante commerciale, trois personnes qui font le montage de nos lampes, et des freelances.
On imagine souvent que les éditeurs et créateurs travaillent de plus en plus, voire uniquement, avec les outils digitaux. Vous restez très attachée au savoir-faire manuel…
On est vraiment dans le concret, on travaille au quotidien avec les matières. Au-delà du travail de création et de développement, il y a la réalité technique. Cela est aussi très valorisant humainement.
Vous participez à des évènements internationaux comme Euroluce à Milan. Qu’attendez-vous de ce type d’événement aujourd’hui ?
Une connexion humaine et valorisante. Les salons ne sont plus comme avant, ils ne marchent plus comme avant. Les contraintes sont multiples et ils demandent un investissement financier toujours très important, mais y participer reste imparable. Euroluce à Milan est un incontournable et nous adorons y participer. C’est crucial pour une marque comme nous, qui vient de Wallonie, et au vrai rayonnement international. On doit montrer qu’on innove, qu’on avance, qu’on évolue. Nos clients d’Australie et d’Asie ainsi que les Américains viennent nous voir, tout comme ceux de l’Europe de l’Est et du Sud veulent toucher nos produits, les comprendre, se laisser séduire… J’ai personnellement besoin de ce temps précieux d’échange. C’est quand même le minimum qu’on puisse rendre à nos clients.
Quelles tendances d’achat observez-vous ?
La tendance de fond se porte sur des objets chaleureux, originaux, sensibles. Des produits qui offrent des émotions dont on se souvient. La personnalisation est aussi un facteur de décision pour de nombreux clients. De manière générale, la consommation est plus raisonnée et les productions qui demandent un fort investissement de recherche en termes de formes, de matériaux, sont très appréciées. Nous sommes donc ravis !