En revenant à un format partiellement physique avec 37 défilés en direct programmés, cette dernière édition de la Semaine de la mode de Paris aurait dû ressembler à une affaire comme les autres, mais une atmosphère étrange était ressentie dans la ville. Pourtant, les créateurs belges ont réussi à innover et à surprendre les acheteurs et la presse, en créant quelques collections mémorables.
Si la pandémie a indéniablement affecté les grands groupes de luxe, ainsi que les marques plus indépendantes, un semblant de normalité a défini la dernière édition de la Fashion Week de Paris, qui s’est déroulée du 27 septembre au 5 octobre. Les créateurs semblaient déchirés entre un désir de nostalgie sécuritaire et l’envie de célébrer la sensualité brute, après des mois de confinement et de restrictions fastidieuses. Après 9 jours à Paris, les années 60, 70, 80, 90 – et même les années 2000 – ont toutes été ressuscitées, tandis que les ourlets ne cessaient d’être de plus en plus courts.
Quel impact tout cela a-t-il eu sur les designers et les marques belges ? Il est intéressant de noter que la saison a été plutôt bonne pour eux, qu’ils dirigent de grandes maisons ou qu’ils aient présenté leurs propres créations. Le Bruxellois Anthony Vaccarello a présenté un défilé Saint Laurent puissant sous la pluie parisienne, évoquant les souvenirs de la créatrice emblématique Paloma Picasso, dont la signature était immédiatement reconnaissable. En étudiant la garde-robe de Paloma des années 70 et 80, Vaccarello a créé un dialogue intéressant entre le masculin et le féminin, en utilisant des lignes ajustées pour dissimuler – et souligner à la fois – les formes féminines. La prestigieuse Maison a connu un succès commercial depuis l’arrivée de Vaccarello en 2016. Il n’accorde presque pas d’interview à la presse, prouvant une fois de plus que l’humilité est bien un trait belge. Pourtant, le créateur aime les femmes puissantes qui n’ont pas peur de leur sexualité et ses collections pour Saint Laurent respirent la confiance et la force.
Dries Van Noten, qui a opté pour une présentation vidéo plutôt que pour le traditionnel défilé, était également en forme, proposant une collection gaie et dynamique. Le créateur belge avait en tête les festivals de musique, ainsi que la joie de se rhabiller. Il a poussé son célèbre goût éclectique à l’extrême, en soulignant l’esprit de mix-and-match de la collection avec des combinaisons de jacquards, de soies et de paillettes, ainsi que des textures duveteuses. Le tactile était en fait un message important pour lui cette saison, avec l’idée de rassemblements et de foules rendus possibles à nouveau. De tous les Belges qui défilaient à Paris, il était de loin le plus exubérant, sans jamais perdre son sens de la mesure et de l’élégance.
Olivier Theyskens a également évité l’exercice habituel du défilé pour se concentrer sur quelque chose de plus intime et privé. Conviant une sélection d’invités et de journalistes au Palais Galliera, le créateur bruxellois basé à Paris a associé la durabilité à un raffinement extrême, en retravaillant ses silhouettes caractéristiques pour un effet saisissant. La collection a nécessité une année entière de travail et, puisque Theyskens n’a pas participé aux collections automne-hiver 21 en février dernier, elle est d’autant plus exceptionnelle. À l’aide d’échantillons de tissus qu’il a récupérés dans diverses usines, il a exploré les innombrables possibilités du patchwork, qu’il a coupé en biais pour créer de superbes robes et des tenues légères.
Présentés sur des mannequins stylisés, les vêtements étaient fins et légers – rappelant les formes minimalistes et tubulaires de Mariano Fortuny – mais le biais a apporté une extensibilité inattendue, les faisant convenir à une variété de tailles et de types de corps. C’était enchanteur de voir Theyskens travailler entièrement à la main, revenant à l’idée du studio de Haute Couture où l’expérimentation et la créativité vont de pair. C’est précisément en raison de la nature laborieuse de ces pièces qu’elles ne seront pas vendues via des e-shops ou dans de grands magasins, mais fabriquées sur commande pour une clientèle spécifique à la recherche de vêtements uniques. Il semble que Theyskens ait trouvé un moyen astucieux de combiner une approche durable avec une esthétique haut de gamme.
Défiant les normes de l’industrie tout en prônant la positivité corporelle, la bruxelloise Ester Manas a présenté un défilé convaincant à Paris, où elle a pu souligner la nature inclusive et durable de ses vêtements. On pouvait voir sur le podium des découpes sensuelles et des dos ouverts, ainsi que des hauts et des jupes froncés qui flattaient le corps. Manas a également exploité la tendance du transparent, qui incarne la sensualité vestimentaire de ce printemps. Le mantra de la créatrice est “Habillez-vous différemment” et s’il est vrai que la mode a connu d’importants changements au cours des cinq dernières années, sous l’impulsion des médias sociaux et d’une volonté de démocratiser l’industrie, la bataille pour s’assurer que davantage de formes et de types de corps puissent être vus dans la mode est toujours en cours. Il sera intéressant de voir comment Manas se développe à l’avenir et si son esthétique aura une influence sur la mode dans son ensemble.
Star belge montante, la créatrice de vêtements féminins Meryll Rogge s’inscrit également dans le calendrier parisien. Sa dernière collection fait référence au denim et aux vêtements de sport des années 90, ainsi qu’aux tenues de travail du début du siècle, qu’elle a déclinés dans des tons optimistes et ludiques. Rogge associe la déconstruction belge typique – une technique maîtrisée par le designer bien-aimé devenu artiste Martin Margiela – à une sensibilité girly définie par le plaisir et la frivolité. La mode vous permet de changer, en fonction de votre humeur et des circonstances, et cette créatrice le comprend parfaitement.
Le fait qu’elle soit totalement indépendante et qu’elle gère seule une ligne de mode, avec seulement des indépendants pour l’aider et pas d’employés pour l’instant, pourrait expliquer pourquoi elle ait pensé cette saison aux vêtements de travail, avec un volume généreux et ces poches profondes sur le devant.
Et quelle est l’autre caractéristique des créateurs belges, outre leur humilité ? Vous l’avez deviné, ils ont tendance à être du genre travailleur !