Nicolas Di Felice: une nouvelle étape chez Courrèges

Nicolas Di Felice :
une nouvelle étape chez Courrèges

Categorie: Interviews
Date de publication:
Nicolas DI Felice @ Catwalkpictures

La mode semble ne pas pouvoir se passer des créateurs belges en ce moment : plusieurs grandes maisons internationales ont confié leur direction créative à des designers qui se trouvent être d’anciens diplômés d’écoles belges réputées, comme La Cambre Mode[s] par exemple.

C’est le cas de Nicolas Di Felice, qui s’est récemment vu proposer de reprendre Courrèges et d’accroître l’attrait de la marque pour un public plus jeune et plus large. Reconnu comme moderniste et visionnaire, le couturier André Courrèges est décédé en 2016, laissant derrière lui un héritage important. Réduire son œuvre à des vêtements futuristes et à une approche avant-gardiste serait une simplification grossière, les créations de Courrèges étant en réalité beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît.

Nous avons rencontré Nicolas Di Felice juste avant la Paris Fashion Week pour parler de la relation de Courrèges avec le corps, de la face sombre de la Belgique et de sa vision de Charleroi, la ville où il a grandi.

Comment vous sentez-vous aujourd’hui, après quelques saisons chez Courrèges ?

Je suis satisfait de l’accueil qu’ont reçu nos collections. Les choses se passent assez vite, mais nos équipes grossissent. Je travaille actuellement sur le défilé qui sera présenté au début du mois de mars. Je pense qu’il sera plus audacieux que ce à quoi les gens s’attendent et qu’il marquera un pas en avant pour la marque en général.

Comment décririez-vous la relation d’André Courrèges avec la sexualité et le corps féminin ?

C’est une question très intéressante pour moi, et je ne pense pas avoir été interrogé à ce sujet auparavant. Nous disposons d’archives incroyables en interne, que nous avons commencé à réorganiser, et vous pouvez vraiment voir que les choses commencent à changer en 1964. Avant cela, Courrèges était encore fortement influencé par Balenciaga, mais à partir de 64, le corps féminin commence à apparaître dans ses pièces, quoique de manière inattendue.

Courrèges AW22 @ Catwalkpictures
Il est vrai que son point de vue sur le sexe n’était jamais évident ou direct. Ses pièces étaient osées dans ce sens, mais il y avait aussi un sens de l’abstraction en jeu.

Oui. Les années 1960 ont été déterminantes pour l’émancipation sexuelle et le féminisme, ainsi que les droits des homosexuels. Je pense que son travail à l’époque était également audacieux et risqué, sans pour autant qu’il y ait de la perversion. Même lorsqu’il pratiquait la transparence, les découpes et les mini-jupes, l’attitude de ses modèles n’était pas ouvertement sexuelle. Il s’agissait plutôt de jeu et de séduction selon moi.

En quoi sa vision de l’érotisme vous inspire-t-elle ?

Dans mon travail, j’aime les contrastes et les extrêmes. Je peux être dans l’intensité à un moment donné et dans la tendresse l’instant suivant. J’aime écouter de la musique classique et de la techno industrielle. Et j’aime Peter Knapp autant que Robert Mapplethorpe.

Comment cet amour du contraste se traduit-il dans vos collections ?

Vous trouverez par exemple notre double legs crêpe-PVC dans la même saison. J’aime mélanger le synthétique avec quelque chose se rapprochant plus de la haute couture.

C’est intéressant, car il y a une sorte de noirceur dans ce que vous faites qui n’est pas sans me rappeler la Belgique. Derrière la façade humoristique et les clichés surréalistes, quelque chose de plus sinistre se cache peut-être sous la surface.

Je ne suis pas sûr que l’on puisse parler de « noirceur », mais pour moi, il s’agit plutôt d’une certaine forme d’énergie et d’intensité. J’ai grandi à Charleroi, le « pays noir » par définition. Nous jouions autour du charbon quand nous étions enfants, et Charleroi est définitivement associée au noir dans mon esprit. Je sortais beaucoup quand j’étais adolescent en Belgique et la nuit m’inspire aussi. Lorsque, à la fin de mes études, je suis passé de Bruxelles à la rue du Cherche-Midi à Paris pour travailler chez Balenciaga, cela a été un véritable choc pour moi en termes de culture. En ce sens, les gens captent l’influence de mes racines dans mon travail et comprennent probablement aussi d’où je viens. Mon travail reflète mon propre parcours en tant qu’individu et en tant que designer.

La Belgique, c’est peut-être aussi présenter la vérité et ne pas trop embellir les choses.

Je suis tout à fait d’accord. Il est peut-être plus difficile en Belgique de dissimuler ses origines, ou bien l’envie de se faire passer pour quelqu’un d’autre n’est tout simplement pas là. Ce désir d’honnêteté est certainement quelque chose que je partage et je suis fier de mes origines à cet égard.

À votre avis, que pensent les jeunes de 20 ans de la marque ? La nouvelle génération s’intéresse-t-elle à Courrèges ?

Ce qui est incroyable, c’est que cela se passe en ce moment même. Je suppose que la simplicité de la marque et son caractère direct parlent à cette génération. En fin de compte, Courrèges renvoie à une vision claire, où il n’y a pas de faux-semblants. Elle est ce qu’elle est, et je pense que les jeunes l’apprécient, car nos silhouettes et produits clés ne sont pas difficiles à comprendre. Bien sûr, nous avons aussi eu la chance que des célébrités choisissent de porter la marque à différentes occasions, ce qui a vraiment accru notre visibilité et donné une nouvelle impulsion.

Le storytelling est essentiel pour les marques aujourd’hui, qu’elles soient indépendantes ou qu’elles fassent partie de groupes plus importants. Dans votre esprit, quelles sont les valeurs de Courrèges et comment influencent-elles la façon dont la marque communique ?

Mon message s’exprime avant toute chose à travers mes créations, même si nous communiquons en ligne et n’hésitons pas à faire des déclarations fortes. En matière de communication, il n’y a ni plan ni stratégie. Je ne choisis que des choses que je trouve belles et qui m’interpellent au plus profond de moi-même, mais il est vrai que j’aime montrer des couples et des choses qui seraient considérées comme ordinaires. À quoi bon créer des vêtements si personne ne les porte ? Cette idée de réalité sous-tend mon travail, ainsi que la manière dont Courrèges communique avec sa communauté mondiale.

Interview par

Philippe Pourhashemi

Plus d'info

Promoting Creative Minds

Cookies
Nous utilisons des cookies et des technologies similaires pour ajuster vos préférences, analyser le trafic et mesurer l'efficacité de nos campagnes. Vous consentez à l'utilisation de nos cookies en continuant à naviguer sur ce site. Lisez notre politique en matière de cookies.
Politique des cookies
Politique des cookies Politique des cookies
Google Analytics Cookie de Google Analytics nous permet de comptabiliser de manière anonyme les visites, les sources de ces visites ainsi que les actions réalisées sur le site par les visiteurs.
Google Tag Manager Cookie de Google Tag Manager nous permet de mettre en place et gérer l’envoi des données vers les différents services d’analyse repris ci-dessous (ex.: Google Analytics)
Politique des cookies Politique des cookies
epic-cookie-prefs Cookie qui garde en mémoire le choix de l'utilisateur pour ses préférences cookies
pll_language Le serveur enregistre la langue choisie par l'utilisateur pour afficher la bonne version des pages