D’une rencontre entre deux professionnelles de la scénographie établies à Bruxelles est né Magazzino. Une plateforme de location et de vente qui revalorise les éléments de décors conçus pour des évènements et des spectacles, et des matériaux récupérés de ces installations temporaires. L’architecte Alessia Guidoboni nous éclaire sur cette entreprise qu’elle mène avec la scénographe Maude Piette, et ce qu’il reste encore à faire pour mieux créer demain.
Vous êtes dans les métiers de l’architecture et de la scénographie, d’où votre rencontre…
J’ai 15 ans d’expérience et je dispose d’une formation d’architecte ingénieur faite à l’École polytechnique de Milan et à l’Institut supérieur d’architecture intercommunal de Bruxelles, et je produis des défilés de mode tout comme des réceptions et des mariages. Je sais donc concevoir plusieurs formats d’événements et de fêtes avec des quantités de matériel, et je connais la plupart des techniques de montage rapides. Depuis environ deux ans, je croisais souvent le chemin de Maude, qui a une formation d’architecte d’intérieur. Ce sont nos échanges sur le caractère éphémère de nos activités, les manières polluantes de construire pour détruire ensuite (qui sont constantes et ce, depuis trop longtemps), qui nous ont réunis.
Sur quoi repose la surproduction et les déchets dans l’évènementiel ?
Il faut savoir que les budgets dans la mode, en particulier, sont élevés, et que les matériaux employés sont de qualité. Ceux-ci sont parfois achetés en double en cas de problème lors du montage des évènements. Nous nous sommes donc souvent retrouvées face à des matériaux restés à l’état neuf après leurs démontages.
Quel fut votre déclic face à cette problématique ?
J’étais un jour en Italie pour monter un magnifique défilé de quelques minutes seulement. Après sa fin, les éléments de son décor, impeccables, allaient partir à la benne. J’ai rapidement essayé de trouver preneur autour de moi, mais personne n’avait envie de les récupérer. J’ai alors pensé que si j’avais un stock, je pourrais les proposer un peu plus tard à des entrepreneurs qui souhaiteraient les réutiliser. De là a germé l’idée de Magazzino et son manifeste.
Quels types de décors sont les plus gaspillés ?
Essentiellement des bois, des métaux, des châssis, des miroirs, et des panneaux ; ces fonds sur lesquels on appose des matières comme des tissus. Il est facile de les récupérer, tout comme les tapis (que beaucoup de gens nous proposent désormais). Aussi, les dimensions de ces éléments et leurs prérequis pour les évènements sont quasiment toujours les mêmes. Nous essayons pour l’instant de nous “limiter” pour Magazzino, car nous n’avons pas encore toutes les ressources à portée de main pour récupérer, revaloriser artisanalement et distribuer plus que ce genre de choses. Aussi, nous ne récupérons pas de mobilier (ce qui peut paraître étonnant, mais cela n’est pas notre créneau).
Magazzino annonce donc la nouvelle ère des décors de scène…
Notre but est de proposer à tous les acteurs de l’architecture et des scènes créatives, du commerce, du marketing et de la communication, de se débarrasser des déchets dont ils ne veulent plus, mais aussi de les sensibiliser concrètement aux pratiques de l’économie circulaire afin qu’ils puissent devenir vraiment durables dans leurs actions, sachant que les déchets professionnels pèsent actuellement 330 000 tonnes annuelles et que l’objectif de diminution des effets de serre dans le monde est de 47 % d’ici 2030.
Vous favorisez aussi l’écoconception hormis la location et vente de décors usagés.
Oui, nous avions dès le départ envie d’aider à la production de nouveaux décors à partir de ce qui est déjà utilisé, pas juste de proposer un stockage dans lequel on peut se servir. Comme la construction des décors est au cœur de nos deux professions, Maude et moi proposons aussi un service d’accompagnement aux créateurs, aux sociétés de production et aux producteurs indépendants d’évènements. Une des solutions pour créer de manière responsable est d’utiliser des systèmes d’assemblages sans colles qui permettent aux installations d’être réutilisables.
Existe-t-il d’autres initiatives afin de revaloriser les décors éphémères ?
D’anciennes générations de professionnels du cinéma ont essayé de développer ces services, pas forcément pour des questions écologiques mais pour plus d’accessibilité en termes de coûts et de disponibilité des matériaux. Cela n’a pas fonctionné car les gens n’étaient pas prêts. Aujourd’hui, ceux à l’écoute des problématiques du changement climatique sont de plus en plus nombreux. Des sociétés de production européennes récupèrent de très belles matières pour les décors éphémères, mais à très petite échelle encore.
Vous avez dernièrement travaillé avec la marque Stella McCartney, réputée pour sa mode durable.
Le podium de leur défilé printemps-été 2023, tout en tapis colorés, a été démonté pour être mis en ligne sur notre site web (qui présente le catalogue de tous nos matériaux disponibles), à l’aide du prestataire belge Action Service.
Comment votre concept est-il accueilli dans vos professions ?
Nos proches, des professionnels indépendants, sont très enthousiastes (c’est aussi grâce à leur bienveillance que Magazzino peut exister). Cela nous encourage beaucoup car en même temps, la pandémie liée à la propagation du Covid-19 n’a pas complètement changé nos secteurs d’activité. Le cinéma ne s’est pas véritablement arrêté pendant ce temps et l’évènementiel reprend depuis peu ses activités et n’a pas encore cette notion d’écoconception en tête (il doit pour l’instant continuer à se remettre en forme financièrement). On entend ainsi souvent ce discours de la part des créateurs : « La seconde main me coûterait trop cher, donc autant faire plus vite avec du neuf ! »
Quelle est votre réaction face à ces réticences pour le réemploi des matériaux et des décors ?
Nous savons que ce genre de réponse est en partie fausse, et nous ne pouvons plus l’entendre. Le réemploi des éléments de décors et des matériaux coûte de l’énergie, comme toute activité, mais il faut se résoudre à un effort commun et global si l’on veut vivre décemment dans les années à venir. Une salle que l’on loue trois jours pour un événement devrait être ainsi louée cinq, afin d’avoir le temps d’installer, démonter et de réemployer. Ce qu’on payerait pour ce supplément de temps serait ainsi amorti par le réemploi des matériaux. Avoir le temps de bien faire est une chose, en avoir vraiment envie est une autre.
Quelles sont les contraintes auxquelles vous faites parfois face ?
Le temps justement, et l’argent. Des prestataires nous appellent à la dernière minute pour que l’on vienne récupérer des éléments de décor sur leur site et nous nous déplaçons. C’est un service payant qui est en réalité avantageux, car cela revient au même pour eux que de louer une benne et d’aller à la déchèterie.
Votre plateforme est-elle aussi accessible pour le grand public ?
Oui, nous avons récemment vendu à un particulier belge qui était en train de construire sa maison, un décor d’immeuble parisien qui comprenait un bel ensemble de menuiseries et de quincailleries, dont de véritables volets.
Vers quels objectifs tend Magazzino ?
Créer un réseau où tout le monde est le bienvenu, pas seulement les scénographes et quelques marques qui nous donnent des coups de mains, mais aussi des peintres qui seraient aptes à réutiliser l’eau des peintures (nous avons développé une machine spécifique pour ce faire), des menuisiers qui nous aideraient à réparer les décors endommagés… Nous voulons continuer à faire évoluer les mentalités.