Il a chapeauté Madonna, vendu ses accessoires dans les plus belles boutiques du monde et créé des coiffes pour une multitude de défilés. Le créateur de chapeaux le plus connu du Royaume de Belgique est aujourd’hui plus discret, mais toujours aussi créatif. Rencontre avec un créateur doux et discret.
Dans les années 80 et 90, vous aviez des boutiques à Bruxelles, Paris et Londres. Vos créations chapeautaient les looks des défilés de Céline, Mugler, Chanel et Féraud. Et puis, un jour, vous avez décidé de tout arrêter. Aviez-vous senti les soubresauts de la révolution qui allait s’opérer quelques années plus tard dans le secteur de la mode ?
C’était en 2001. J’ai ressenti le besoin de faire une pause et de casser le rythme effréné que je m’étais imposé. J’étais content de tout ce que j’avais réalisé, mais je n’avais plus envie de travailler dans l’urgence. J’étais devenu un gestionnaire, plutôt qu’un artisan. Si la course à l’argent prend le pas sur la création, mon métier n’a plus de sens à mes yeux. À l’époque, j’employais 40 personnes. Nous fabriquions 35.000 chapeaux par an. Rien qu’au Japon, nous avions plus de 100 points de vente. Je n’avais aucunement l’intention d’externaliser ma production, mais je savais que si je voulais grandir, c’était une obligation. Plutôt que de produire en Turquie ou au Maroc, j’ai préféré tout arrêter à temps.
Dans le registre de la mode, on parle beaucoup du concept d’artisanat. Cette approche a toujours figuré au centre de votre démarche. C’est aussi pour cela que vous avez eu envie de changer de business model ?
Rien ne peut remplacer la magie d’un vêtement ou d’un accessoire unique fabriqué à la main. À l’inverse, il est rarement possible de valoriser le prix d’une pièce produite de manière industrielle. J’ai découvert ma passion pour la mode quand je travaillais dans une friperie. C’est là que j’ai compris la valeur du luxe, la beauté de ces pièces inimitables façonnées à la main. Vous pouvez bien entendu créer une forme, puis la multiplier de manière artisanale. C’est ce que j’ai fait avec certains de mes modèles cultes créés il y a 30 ans. Il me suffit de changer un détail de finition pour leur donner une allure contemporaine.
Ils sont nombreux…
J’ai une affection toute particulière pour la casquette, la première pièce que j’ai créée sur une forme en bois avec la visière moulée et sans aucune couture. J’aime aussi Diabolo, le chapeau transformable que porte Amélie Nothomb, le modèle cowboy popularisé par Madonna et le bonnet pull qu’on a pu voir sur Sharon Stone et qui figure aujourd’hui dans la collection du Musée des Arts Décoratifs de Paris. J’ai toujours considéré mon atelier comme un laboratoire. S’il n’y a pas de recherche, où est le plaisir ? Jusqu’à la fin de sa vie, Azzedine Alaïa n’a jamais cessé de repousser les limites de son art.
Vous avez souvent collaboré avec des artistes belges : Ann Demeulemeester, mais aussi Axelle Red, Véronique Leroy… La Belgique a toujours été un élément central dans votre parcours ?
Dès mes débuts, j’ai su que ce pays serait pour moi une grande source d’inspiration. J’aurais pu partir à Londres ou à Paris, mais je savais que c’était ici que je voulais être. La Belgique est un pays bourré de bonnes ondes. La preuve : tous ces talents qui sortent de nos écoles et s’illustrent dans de grandes maisons : Anthony Vaccarello chez Saint Laurent, Raf Simons chez Prada ou encore Pieter Mulier chez Alaïa. Inspirante et multiculturelle, la Belgique me rassure et me stimule.
Depuis quelques années, vous concentrez votre activité sur les commandes privées que vous réalisez dans votre atelier de l’avenue Louise à Bruxelles. Un choix dans l’air du temps, mais qui ne l’a pas toujours été.
Quand j’ai pris cette décision, la seule chose dont j’étais certain, c’est que je ne voulais plus de contrainte commerciale. Comme j’estime que plus on donne, plus on reçoit, le sur-mesure m’apporte beaucoup de satisfaction. Chaque nouvelle collaboration m’enrichit.
Vous enseignez votre art dans le cadre du Master en accessoires à La Cambre Mode(s) et, cette année, le cursus mode de la Haute Ecole HELMo à Liège vous a demandé de parrainer un étudiant. Quel est le message principal que vous avez envie de transmettre à ces jeunes créateurs en herbe ?
Je suis très enthousiaste à l’idée de leur enseigner des techniques que j’ai parfois mis des années à acquérir. Au-delà de cet aspect purement pratique, j’ai envie de leur montrer que tout est possible. À condition de prendre le temps. Tout le monde n’est pas fait pour figurer en haut de l’affiche. On peut très bien rester dans l’ombre toute sa vie et faire une belle carrière dans la mode. Pour ma part, c’est en travaillant au contact de la matière que j’ai trouvé ma voie. L’éthique a aussi beaucoup d’importance. Tout comme les valeurs que je défends. Pour s’épanouir dans la création, chaque créateur doit rester proche des siennes.
Quel regard portez-vous sur la création en Wallonie et à Bruxelles ?
Ce qui me fascine, c’est la présence de tous ces collectifs qui associent différents profils créatifs au sein d’une structure collaborative. On voit aussi de plus en plus de petites boutiques qui contribuent à recréer une belle dynamique dans les villes, en dehors de la « fast fashion ». Aujourd’hui, j’ai 60 ans. Je suis la preuve vivante qu’il n’y a pas d’âge pour se lancer de nouveaux défis artistiques ou créatifs.
Quand vous créez un nouveau chapeau, quel est votre motto ?
J’associe la création à un moment suspendu. Il m’arrive d’entrer dans mon atelier suite à une discussion ou un évènement qui m’a touché et que j’ai envie de traduire dans un chapeau. Pour l’instant, je crée pas mal de bonnets à oreilles de chat, une réponse à la sinistrose ambiante. Ils sont le reflet de mes humeurs. La mode doit, quoi qu’il arrive, conserver son sens de l’humour et un vrai second degré.