Il est l’un des deux belges à figurer parmi les dix finalistes du prestigieux festival de Hyères. En prémices de la présentation de sa collection masculine devant le jury présidé, cette année, par le designer de mode anglais Jonathan Anderson, ce jeune talent à la formation hybride a partagé avec nous sa vision du métier et d’une industrie en pleine quête d’identité.
Vous avez démarré votre cursus à La Cambre Mode(s). Après un passage par HELMo Mode à Liège, vous avez opté pour un master au KASK & Conservatorium de Gand. Racontez-nous votre parcours.
Je voulais à la base étudier les sciences politiques, un domaine qui m’intéresse tout particulièrement, mais suite à mon admission à La Cambre Mode(s), j’ai décidé de relever le défi. Avec le recul, je réalise que je n’avais probablement pas assez de maturité. J’étais inconscient des difficultés. Ou peut-être trop conscient. À aucun moment, je ne me suis senti vraiment légitime dans ce domaine. Après deux échecs, je me suis inscrit à HELMo Mode à Liège. Ce baccalauréat de trois ans à orientation technique m’a redonné confiance en moi. L’ambiance moins individualiste qu’à La Cambre m’a rassuré. Quant à l’approche technique, elle m’a permis d’acquérir un sens de la rigueur qui me sert encore aujourd’hui.
Pour quelles raisons vous êtes-vous ensuite lancé dans un master au KASK & Conservatorium ?
J’ai réalisé l’un de mes stages chez Marina Yee, l’une des 6 d’Anvers (probablement la moins médiatisée), également professeur au KASK. C’est elle qui m’a convaincu de poursuivre ma formation dans cette école. Je venais de terminer un stage de 5 mois chez Ximon Lee (un designer diplômé de Central Saint Martins à Londres, lauréat du H&M Design Award). Cette expérience également très enrichissante m’avait permis de toucher à de nombreuses facettes du métier : du croquis technique aux contacts avec les ateliers de production en passant par les recherches d’inspiration. À l’issue de ce stage, j’étais prêt à me lancer dans un nouveau cycle de cours.
Toutes ces écoles ont contribué à forger votre identité. Comment vous définiriez-vous aujourd’hui ?
Cette notion d’identité m’effraie un peu. À Gand, j’ai notamment réussi à me libérer de cette volonté de « trop bien faire » qui découlait de l’approche très technique de mon baccalauréat. Si je pense avoir pris le meilleur de chaque école, il me reste encore beaucoup de travail à faire pour comprendre qui je suis. Comme d’autres designers de ma génération, je m’interroge sur la pertinence de créer de nouveaux vêtements et, par extension, de développer une marque éponyme.
D’où votre volonté de créer sous le pseudo 2.59 _tld et pas sous votre propre nom ?
2.59 _tld, c’est le numéro du local dans lequel j’ai élaboré ma collection au SMAK. La première et la troisième lettre sont mes initiales. L’autre, c’est celle du nom de famille de ma mère : Laaouej. « I saw my mum watching the news », la collection qui m’a permis d’être sélectionné pour le festival de Hyères, raconte son histoire : celle d’une immigrée marocaine arrivée en Belgique à 18 ans. Je me souviens la voir réagir de manière épidermique à un reportage télé sur la crise des migrants. Je n’avais jamais réalisé à quel point son statut d’immigrée avait autant pu l’impacter.
Cette réflexion, comme l’avez-vous traduite stylistiquement ?
J’ai imaginé une collection composée de pièces surdimensionnées qui, malgré leur lourdeur apparente, évoquent l’idée du voyage. On y retrouve des codes que j’associe à la migration : l’accumulation, ainsi que les choses qu’on gagne ou qu’on perd, mais qui nous font grandir. Ces silhouettes traduisent une certaine forme de vulnérabilité, mais mon propos n’est ni sombre, ni lugubre. Le manteau noir est illuminé de surpiqures blanches et les épaules tombantes suggèrent une nouvelle silhouette. C’est une collection en mouvement.
Le festival de Hyères est un tremplin. Que vous évoque par exemple le parcours de Marine Serre, lauréate du LVMH Prize for Young Designers en 2017 et finaliste, la même année à Hyères ?
Tout comme je me sens très proche de Marina Yee, mon mentor, une designer qui réalise des collections basées sur l’upcycling et qui, tout en restant très discrète, est vendue jusqu’au Japon, je trouve le travail de Marine Serre – que je connais depuis La Cambre – très intéressant. Sa capacité à s’imposer dans l’industrie de la mode tout en la remettant en question et en se libérant de ses diktats est forcément inspirante. Je suis moi-même totalement opposé à l’idée de production frénétique. Si, un jour, je devais monter un projet, je voudrais le faire à mon rythme et en évitant à tout prix de produire de manière gratuite. À ce stade, je continue à m’interroger : la mode me laissera-t-elle le temps de prendre le temps ? »
La 35e édition du festival international de mode, de photographie et d’accessoires de mode d’Hyères se tiendra du 15 au 19 octobre 2020 à la Villa Noailles.