Finaliste du prix Tremplin 2024, un concours annuel destiné à de jeunes diplômées d’écoles d’art en Wallonie et à Bruxelles, la designer textile française de 27 ans formée à la Cambre a reçu le Prix WBDM pour le développement international saluant sa recherche autour des propriétés thermiques du sisal.
Vous êtes née et avez démarré votre cursus académique en France. Qu’est-ce qui vous a incitée à vous inscrire à l’École Nationale Supérieure des Arts Visuels de La Cambre à Bruxelles ?
Après avoir obtenu mon baccalauréat français, j’ai entamé des études de Lettres à l’Université Sorbonne Paris IV. Cependant, j’ai rapidement décidé de me réorienter vers une année préparatoire artistique à Prep’Art Paris. Mes professeurs, ayant remarqué mon intérêt pour le travail de la matière, m’ont encouragée à intégrer une école proposant une spécialisation en recherche textile. En 2018, j’ai ainsi débuté un bachelier en design textile à La Cambre. À l’issue de ce cursus, j’ai effectué une année de césure : six mois en échange Erasmus aux Arts Décoratifs de Paris, suivis de six mois de stage chez Décathlon, au sein du Process Industriel Textile. Par la suite, j’ai repris mes études à La Cambre, où j’ai réalisé les deux années de Master en design textile.
Dans le cadre de votre cursus, vous avez expérimenté différentes pratiques. Expliquez-nous ?
Lorsque je suis arrivée à La Cambre, j’avais déjà une certaine sensibilité à la matière, mais l’aspect technique du textile était totalement nouveau pour moi. Le cursus en design textile proposé par l’école est très complet et m’a permis d’explorer une large palette de techniques, telles que le tissage, la maille, la sérigraphie ou encore l’ennoblissement. Au-delà de cet apprentissage technique, les professeurs nous encouragent à interroger les matériaux que nous utilisons, en explorant leurs dimensions technique, performative, plastique, graphique et sensorielle, ouvrant ainsi le champ de leurs multiples possibilités d’applications.
C’est à ce moment que votre projet « +1,4°C » (celui qui vous a permis de faire partie des finalistes du prix Tremplin) a commencé à voir le jour.
« +1,4°C », est un projet qui interroge et met en œuvre le textile comme une contribution active à la protection thermique dans le domaine de l’architecture. Bien qu’il soit difficile d’envisager un abandon total de l’utilisation du chauffage central et de la climatisation dans nos sociétés actuelles, il est essentiel pour un designer sensible à ces problématiques de concevoir des systèmes alternatifs afin de mieux nous protéger des aléas climatiques. Le textile, en tant que matériau souple, offre un large éventail de possibilités pour élaborer des dispositifs réversibles et low-tech. Grâce aux propriétés de certaines fibres, son intégration dans nos habitats peut contribuer à la régulation de la température. Mon intérêt pour la question du confort thermique, et plus particulièrement pour le confort estival, m’a amenée à développer une proposition face à l’urgence du réchauffement climatique. Lors de mes recherches, j’ai choisi de valoriser l’utilisation de fibres naturelles, et en particulier en explorant le tissage du sisal. Cette fibre provient des feuilles de l’agave sisalana et se distingue par sa robustesse, sa résistance élevée à la traction et à l’usure. En plus de ses propriétés isolantes, intrinsèques à sa nature, elle a des qualités plastiques, sensorielles et olfactives. Souvent utilisée dans l’industrie textile pour la fabrication de cordes et de tapis, elle est ici repensée dans le projet « +1,4°C » dans la perspective de développer des protections solaires extérieures, placées devant fenêtres et terrasses, comme enveloppes architecturales thermiques.
Votre travail de recherche a intéressé l’entreprise de tapis et de revêtement de sol belge Tasibel qui vous a suive dans le développement de votre projet.
Tasibel est une entreprise familiale spécialisée dans la filature et le tissage du sisal, reconnue depuis 1923 pour la qualité de ses tapis et de son savoir-faire unique en Europe. Elle figure parmi les rares entreprises européennes capables de maîtriser l’intégralité du processus de production, du travail de la fibre brute au tissu final. Cette expertise est une véritable richesse et une ressource précieuse pour le développement textile. Le fruit de notre collaboration m’a permis de transposer mes recherches tissées en sisal d’un métier à tisser manuel vers un contexte industriel, aboutissant à la création d’un premier prototype à échelle architecturale.
Des essais concluants qui vous ont permis de décrocher une place parmi les finalistes du prix Tremplin et de remporter le prix WBDM. Qu’est-ce que ce prix peut amener à la jeune designer que vous êtes ?
Ce prix me permet de bénéficier d’un accompagnement sur mesure pour mon développement international. Grâce à WBDM, mon travail de recherche peut être mis en lumière et me permettre de rencontrer des acteurs clés susceptibles de faire progresser le projet. Mon objectif principal est de poursuivre ma recherche pour arriver au développement d’un nouveau produit capable de répondre à notre besoin de fraîcheur dans nos lieux de vie. “+1,4°C” propose une solution alternative aux travaux de rénovation, qui sont des processus longs et coûteux en architecture. Dans ce contexte, l’utilisation du textile s’inscrit dans une démarche d’économie de moyens, en offrant des performances thermiques tout en apportant des qualités sensibles à l’habitat. En tant que médium souple et réversible, le tissu peut s’articuler et s’adapter de manière flexible aux spécificités des bâtiments avec lesquels il interagit. Enfin, ce projet repose sur une synergie entre une recherche artisanale, portée par une designer textile, et sa transposition dans un contexte industriel. Ce changement d’échelle ouvrant la voie à des applications architecturales novatrices.