En marge de ses projets d’architecture d’intérieur, Rotor est un collectif basé à Bruxelles qui développe des concepts d’expositions, publie des ouvrages de référence et élabore des propositions relatives à de nouveaux modèles économiques dans le registre des flux de matériaux issus du secteur du bâtiment. En 2016, Rotor a donné naissance à RotorDC, une spin-off spécialisée dans le démontage et la vente de ces matériaux de réemploi. Lionel Devlieger, co-fondateur, nous a dressé les contours de son action, tout en évoquant la participation de Rotor à « Lille Métropole 2020 Capitale Mondiale du Design ».
Rotor et Rotor Deconstruction (DC) sont deux projets dans l’air du temps. C’était déjà le cas quand vous avez démarré Rotor en 2005 ?
Notre projet est né d’un sentiment d’indignation face au gaspillage que nous soupçonnions dans le secteur du recyclage des matériaux de construction à grande échelle. Rappelons qu’à l’époque, la notion d’économie circulaire n’existait pas. En détricotant le système, nous avons pris conscience qu’au-delà des grands discours sur la notion de recyclage se cachaient des campagnes de destruction massive visant à faire disparaître la matière en vue de fabriquer du neuf pour la remplacer. En 2005, la Flandre et la Wallonie se félicitaient de pouvoir présenter, pour les déchets de construction et de démolition, un pourcentage de traitement par recyclage supérieur aux directives européennes. Sur le terrain, dans les centres de tri et de regroupement que nous visitions, la réalité était tout autre. Les stratégies de compactage conduisaient à une utilisation très limitée des matériaux récupérés. Notre engagement pour une réutilisation systématique des matières comme les briques nettoyées, les tuiles, le carrelage ou le marbre, s’est bâti sur ce constat alarmant.
Vous insistez sur la notion de collectif, un concept également très en vogue. Pourquoi est-elle centrale dans votre démarche ?
Dans notre zone d’action, à savoir la promotion du réemploi, nous avons d’emblée eu besoin de compétences diverses. La perspective des seuls architectes nous est apparue comme trop unidimensionnelle. L’intervention de bioingénieurs, d’économistes, de scénographes et de juristes nous a permis de poser un regard kaléidoscopique sur la problématique et de présenter un couteau suisse de solutions. Nos objectifs sont communs. La notion de solidarité figure également au cœur de notre stratégie de développement.
Un de vos projets avec RotorDC est centré sur la récupération et le réemploi de carrelages en céramique issus de bâtiments construits à Bruxelles dans la première moitié du siècle dernier. Avec ce type d’actions, qui visez-vous exactement en termes d’utilisateurs finals ?
À l’origine, nous avons centré notre action sur le secteur créatif, donc les designers. Il fallait leur offrir de nouvelles sources d’information et d’inspiration. Dès 2008, avec Rotor, nous avons donc réalisé de nombreux aménagements d’espaces. L’idée était d’expérimenter, d’une part et de promouvoir le résultat de nos recherches auprès de designers et d’architectes d’intérieur d’autre part. À l’échelle d’un pays, les designers ont toutefois un impact limité sur l’utilisation de matériaux. D’où l’intérêt de nous adresser aux promoteurs immobiliers, mais aussi aux commanditaires publics et enfin, par le biais de notre magasin d’Anderlecht, aux utilisateurs privés désireux d’intégrer dans leur habitation un parquet de réemploi ou un luminaire en verre des années 50 issu d’un ancien bureau désaffecté.
Dans le cadre de Lille Métropole 2020, Capitale Mondiale du Design, vous travaillez sur la Maison Poc, un projet centré sur l’économie circulaire situé dans l’ancien Monastère des Clarisses à Roubaix. Pour Rotor, quel est l’intérêt principal de ce type d’actions ?
Il s’agit à la fois d’un projet expérimental et d’un outil d’information et de promotion. Notre approche, je la qualifierais d’acupuncture architecturale dans le sens où nous avons cherché, sur base d’une intervention la plus minimale possible, à ajouter du confort dans un espace patrimonial spectaculaire mais austère, c’est-à-dire froid en hiver. Ce sera, pendant le festival, un lieu de conférence et d’exposition. Il abritera ensuite le collectif roubaisien Zerm qui gère l’occupation temporaire des lieux pour les trois ans à venir. Nous avons choisi d’en délimiter l’espace en concevant un nouveau volume escamotable, en réalité une tente ultra-fine en tissus de voile bateaux. Nous ne sommes pas ici dans une logique de réemploi, mais dans l’éphémérisation en vue d’obtenir un maximum d’effets grâce à l’investissement d’un minimum de moyens. L’idée est de communiquer sur une notion d’économie dans le design qui ne serait pas laborieuse, mais bien inspirante et vectrice de changement
Ce type de projets est une belle vitrine à l’international. Tout comme les prix que vous avez reçu en 2015, le Global Award for Sustainable Architecture et le Prix Rotterdam Maaskant 2015. Le collectif Rotor a-t-il des ambitions à l’export ?
L’essence de notre démarche consiste à maximaliser la pratique du réemploi dans l’architecture et à opérer là où nous avons un impact. Dans cette idée d’économie locale que nous prônons, il serait stupide de vouloir piloter un projet de démantèlement à Bilbao. Dans nos chantiers de déconstruction, nous tentons de restreindre au maximum les déplacements de matériaux. Cela étant, nous sommes présents à l’étranger au travers d’autres projets. Nous sommes porteurs d’un projet nommé FCRBE, soutenu par le fond européen Interreg, qui vise à faciliter la circulation d’éléments de réemploi dans le nord de l’Europe. Nous partageons aussi le fruit de nos recherches en enseignant ces matières dans des écoles d’architecture et de design en France, aux Pays-Bas, en Suisse, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Il s’agit pour nous de contribuer à renforcer les actions existantes de manière à donner à ces acteurs du changement des outils affutés pour pouvoir affronter les lobbys des constructeurs de matériaux de construction.