Cette année, le musée Mode & Dentelle de Bruxelles met à l’honneur la carrière exceptionnelle de Sonja Noël et son empreinte durable sur la mode. Grâce à ses boutiques STIJL, elle a dynamisé le quartier Dansaert dans le centre de Bruxelles, contribué à l’évolution de la mode belge et joué un rôle clé dans l’essor de toute une génération de créateurs. Intrépide, audacieuse et passionnée, Sonja Noël a toujours été à la recherche de singularité, de caractère et d’originalité, trois éléments qui deviennent de plus en plus rares dans la mode d’aujourd’hui.

Organisée par thèmes, l’exposition rétrospective de Bruxelles couvre plus de 40 ans d’une vie entièrement dévouée à la mode. En tant que co-commissaire de l’exposition, Aya Noël, la fille de Sonja, a relevé le défi avec enthousiasme. Elle a minutieusement parcouru des milliers de documents et d’innombrables vêtements de designer dans le but de capturer l’essence même de STIJL et de son véritable impact. En parcourant l’exposition, il devient rapidement clair que sa mère n’a pas seulement ouvert de nouveaux magasins de mode au cœur de la capitale européenne, mais qu’elle a créé des temples du style où cohérence, qualité et intégrité étaient les maîtres mots.
Dans cette interview exclusive, Aya Noël partage son expérience émotionnelle liée à l’organisation de l’exposition avec sa mère, évoque l’impact de STIJL sur la redéfinition de Bruxelles, et explique pourquoi tant de designers lui sont reconnaissants d’avoir eu la chance de travailler avec Sonja Noël.

Cette exposition n’est pas une rétrospective classique étant donné qu’elle est organisée par thèmes, et non chronologiquement. Pourquoi avoir opté pour cette approche ?
Je pense que cette exposition met avant tout en lumière les valeurs de ma mère et la manière dont elle m’a transmis son héritage. Ma mère n’a jamais cherché à être sous les projecteurs. Ce qui l’intéresse avant tout, ce sont ses boutiques et la relation avec ses clients. Néanmoins, je tenais à ce que cette rétrospective soit intime et personnelle, et je pense que nous avons réussi ce pari. Nous avons choisi d’inclure certaines photos de famille, car elles me semblaient indispensables. Ma mère était si jeune lorsqu’elle a fondé STIJL.

Votre mère est une personne très discrète. Qu’est-ce qui l’a décidée à mettre sur pied cette exposition ?
C’est Béa Ercolini qui a eu l’idée de présenter ma mère à Nicolas Lor et à Caroline Esgain, les conservateurs du musée. Quand tout le monde s’est accordé pour lancer le projet, l’anniversaire de STIJL était déjà passé, donc je pense que ma mère n’a pas eu beaucoup de temps pour hésiter ou émettre des réserves.
Outre l’aspect émotionnel, votre mère a été très audacieuse et a pris des risques considérables en ouvrant la boutique STIJL. A-t-elle toujours eu cette confiance en elle ?
Oui. À seulement 23 ans, sans même avoir terminé ses études, elle a lancé STIJL et n’a jamais regretté son choix. Originaire de Grimbergen, où la culture n’occupait pas une grande place dans sa famille, elle a rapidement compris qu’elle devait choisir entre retourner à ses racines ou démarrer une nouvelle vie à Bruxelles.

STIJL a véritablement transformé le quartier de Dansaert et contribué à l’essor de la mode belge. Comment votre mère choisissait-elle les créateurs qu’elle souhaitait mettre en avant ?
Ma mère a étudié l’histoire de l’art et a toujours eu une affinité avec la beauté, ainsi qu’un goût pour l’esthétique. Dès son plus jeune âge, elle s’habillait de manière élégante et comprenait la mode d’instinct. Marina Yee a été l’une des premières créatrices à travailler avec elle. Ma mère est aussi à la recherche d’authenticité, elle a une aversion profonde pour les créateurs qui se contentent de discours creux.

Elle a été la toute première cliente d’Ann Demeulemeester et maintenant fournit également Marie Adam-Leenaerdt, étoile montante de la mode belge. En tant que jeune femme dans l’univers de la mode, votre mère a-t-elle été confrontée au scepticisme d’autrui ?
Elle m’a déjà raconté une anecdote à ce sujet : une femme est rentrée dans la boutique et a demandé à voir le gérant. Lorsque ma mère lui a répondu qu’elle était la propriétaire, la cliente n’en revenait pas. Ensuite, ma mère lui a rétorqué calmement : « Revenez dans 20 ans. Je serai toujours là. »
C’est brillant et audacieux de sa part. Derrière son apparence timide, votre mère est assez déterminée et a des opinions bien arrêtées.
Oui, en effet. Je pense qu’elle reste un peu un mystère pour moi. Ma mère est très exigeante et investie dans son travail, mais elle est aussi généreuse et s’intéresse réellement aux autres.

C’est vrai que de nombreux créateurs vont la voir juste pour avoir des conseils. Et les gens sont souvent surpris de voir à quel point elle est accessible.
C’était incroyable de voir à quel point elle est appréciée par les créateurs, qui ont tous salué son expertise. Cela m’a beaucoup émue. Les contacts sociaux jouent évidemment un rôle clé dans son travail.
Y a-t-il des aspects du secteur qui lui posent problème aujourd’hui ?
Je pense que la numérisation croissante du secteur de la mode complique les choses pour ma mère. Mais en même temps, elle prend plaisir à voir des jeunes venir dans sa boutique pour dénicher ce vêtement qui les obsède. Même s’ils achètent du vintage ou en ligne, ils continuent de venir chez STIJL pour trouver quelque chose d’unique.

Votre maman a une vision très claire, qui se reflète dans sa manière de sélectionner et de gérer les collections. Selon vous, qu’est-ce qui fait de STIJL une boutique d’exception ?
Je pense qu’elle voulait créer un havre de paix, un lieu où l’on peut échapper à la pression du quotidien. Quand vous entrez chez STIJL, vous oubliez tous vos tracas. C’est une invitation à la beauté et à la contemplation.
Elle a de toute évidence fait beaucoup de sacrifices pour maintenir ce succès, mais au bout du compte, elle a réussi à bâtir un véritable temple de la mode, qui transcende les tendances éphémères.
Vous n’êtes pas la première personne à qualifier STIJL de temple, et c’est un fait que ma mère a été complètement dévouée à la mode, travaillant sans relâche. Aujourd’hui, avec les années, elle comprend qu’il y a d’autres choses qui sont tout aussi importantes dans la vie. Elle adore faire de la randonnée et se sentir proche de la nature.
Diriez-vous que l’exposition a changé votre relation ?
Oui. Maintenant que nous avons achevé cette exposition et surmonté ce grand défi professionnel ensemble, nous pouvons enfin mettre la mode de côté et profiter pleinement de notre relation mère-fille.