A l’occasion de l’exposition solo que lui consacre la galerie bruxelloise Augusta, nous avons échangé avec la fondatrice du studio Marbled Salts. Installée à Bruxelles, Roxane Lahidji nous a confié sa vision d’un design poétique et engagé, à mi-chemin entre art et artisanat.

Comment vous définissez-vous en tant que designer ?
Je suis très sensible à l’idée d’un design de collection (collectible design) qui nous permet de créer des pièces uniques. Tous nos objets sont fabriqués à la main sur base d’une technique de moulage. Cette dimension artisanale figure au cœur de notre démarche.
Vous vous êtes formée à Strasbourg, puis à la Design Academy d’Eindhoven. Parlez-nous de votre parcours.
Dans le cadre de mes études de graphisme et d’illustration à Strasbourg (HEAR), je me suis rapidement heurtée aux limites liées à la 2D. Ce qui me manquait, c’est la matérialité propre aux objets. Pendant la suite de mon cursus en Design de Produits je passais beaucoup de temps dans les ateliers où travaillaient les étudiants en art. J’étais moins inspirée par le fait de plancher sur un concept que par le potentiel d’une technique ou d’une matière.

Et puis, il y a eu cette rencontre avec le sel, le matériau central de votre pratique du designer : racontez-nous ?
Dans le cadre de mon cursus en Social Design à l’académie d’Eindhoven, j’ai eu la chance de rejoindre la fondation Luma à Arles. C’est là que j’ai participé à un projet autour du sel. J’ai étudié cette matière par le prisme historique, mais aussi du point de vue de ses propriétés chimiques. D’emblée, j’ai été fascinée par son côté neigeux et immaculé. La spécificité du sel, c’est qu’il a longtemps été considéré comme un matériau de premier plan (l’or blanc) avant de tomber en disgrâce. Mon travail a consisté à imaginer des objets précieux qui évoquent la beauté du marbre. Mes premières pièces ont vu le jour en 2017. Aujourd’hui, nous travaillons à la fois pour des projets scénographiques qui nous permettent de créer très librement, mais aussi pour des architectes. Dans ce cas de figure, nous nous adaptons à leurs envies et besoins, tant en termes de couleurs, que de finitions.

Il s’agit d’une matière assez particulière qui, on s’en doute, doit faire l’objet de nombreuses recherches. Expliquez-nous.
Compte tenu du caractère très sensible du sel et de la diversité de nos projets, nous sommes constamment en phase de développement. Lors de la création du studio, nous avons surtout créé de petits objets. Nous avons ensuite développé des tables et des luminaires qui nous ont obligés à réfléchir en termes de résistance des matériaux. Actuellement, nous travaillons sur une baignoire qui constitue un vrai défi technique. Aujourd’hui, en marge des objets sculpturaux que nous concevons, nous souhaitons nous consacrer, entre autres, à la réalisation de surfaces (murs, plans de travail, sols… ) La force de cette matière, c’est qu’elle ne nous impose aucune limite, sauf en termes d’infrastructure.

Vous aimez aussi souligner son caractère durable. Quel rapport entretenez-vous avec cette facette de la création ?
Quand on s’inscrit dans une démarche purement plastique et esthétique, il me semble impossible de ne pas envisager les choses sous cet angle. En 2025, fabriquer une baignoire dans un marbre vert non recyclable qui vient du bout du monde n’a aucun sens. Les sels marbrés, en revanche, sont composés à 90% de sel marin et de liants naturels. L’enveloppe en résine qui protège les objets est écoconçue, elle aussi.

Vous travaillez au sein de Zaventem Ateliers, le projet piloté par Lionel Jadot avec qui vous avez d’ailleurs collaboré lors de la création de l’hôtel Mix à Bruxelles. Cette dynamique est-elle vectrice de nouveaux projets ?
Lionel et moi nous sommes rencontrés lors de la première édition du salon Collectible à Bruxelles en 2018. Un an plus tard, j’ai rejoint Zaventem Ateliers. Pour le Mix (un hôtel situé dans les bâtiments de l’ancienne Royale Belge à Bruxelles, ndlr.), nous avons réalisé 480 lampes entièrement à la main. Un projet unique qui nous a permis de vérifier notre viabilité face à un cahier des charges particulièrement exigeant. En marge des projets auxquels nous participons avec les autres designers de l’atelier, l’énergie collective du groupe permet de rester motivés face aux enjeux du métier.
Quels sont-ils ?
Je vois notre métier comme une bataille, un choix presque politique. Dans un monde où tout est produit industriellement et où l’intelligence artificielle challenge notre position en tant qu’artiste, faire survivre des savoir-faire est essentiel. A mi-chemin entre art et artisanat, la pratique de notre studio permet de générer un questionnement intellectuel sur le monde, mais aussi de valoriser une culture du travail qui a tendance à se perdre.

Cette exposition solo à la galerie Augusta est une première ; le fruit de six mois de travail. Comment l’avez-vous envisagée ?
Il s’agit de la poursuite de ma réflexion en tant qu’artiste. La matière que nous travaillons est suffisamment polyvalente pour pouvoir s’adapter aux spécificités de chaque projet ou, le cas échéant, de chaque lieu. Dans le cas d’Augusta, je présente de nouvelles pièces évocatrices de paysages aériens. Les jeux de lumière, l’une de nos marques de fabrique, se déclinent dans une approche douce, presque nuageuse.

Vous êtes fascinée par les paysages aériens. Pourquoi ?
Le sel permet de reproduire des textures qu’on ne retrouve que dans le ciel. Sur certaines lampes que nous avons réalisées, on perçoit clairement l’image d’une planète. Plus symboliquement, mon travail évoque le voyage, mais je préfère laisser à chaque visiteur le soin de raconter sa propre histoire.