Come as you are, l’exposition solo de l’artiste liégeoise Laetitia Bica programmée jusqu’au 6 septembre au sein de MAD Brussels, est un bon prétexte pour s’immerger totalement dans un condensé de créativité belge sous le signe de l’ouverture, du partage et de la liberté d’être.

Divisée en 4 sections thématiques, cette exposition puissante, colorée et euphorisante est composée d’images inédites réalisées à l’occasion d’une résidence organisée au MAD Brussels en février et mars derniers. Pendant un mois, la photographe Laetitia Bica, entourée d’une équipe pluridisciplinaire, a mis en images des vêtements et accessoires – des pièces uniques pour la plupart – de designers belges. Présentées sur différents supports, dont du textile, les images ont pris vie par le biais d’une scénographie inspirante signée WDN Studio (Caroline Wolewinski & Sandro Della Noce).

Parlez-nous de ce projet : classique de prime abord puisqu’il s’agissait de mettre en lumière des talents belges, mais subtilement interprété, afin de ne tomber dans aucun cliché. Quelle est la genèse de cette exposition ?
J’ai reçu une liste de designers qui, par leur nationalité, leurs études ou leur pratique, cultivent un lien étroit avec la Belgique. Mon travail s’articule depuis toujours autour de la scène artistique émergente. Sur base de cette liste, j’ai choisi des talents à peine sortis de l’école ; connus ou pas, ainsi que des personnalités qui ont porté leurs créations : danseur·euse·s, artistes drag, DJ, maquilleur·euse·s et acteur·ice·s. Je souhaitais inscrire cette série d’images sur le thème de la métamorphose. Pour le stylisme, j’ai travaillé avec Jennifer Defays. Ensemble, nous avons constitué un vestiaire gigantesque dans lequel ces personnalités ont pu puiser en toute liberté : le début de la création d’un personnage, mais aussi le point de départ de mon travail photographique.

Pour vous, la prise en considération de chaque personnalité est importante. D’ailleurs, quand on visite l’exposition, on ignore qui est qui. Complètement intégrée à la dimension photographique, la scénographie nous embarque dans une sorte de voyage qui brouille les pistes. C’était votre souhait ?
Je ne voulais pas que les modèles doivent se définir. Cette exposition, c’est juste le témoignage d’une rencontre, d’une relation. D’abord entre eux et moi et puis, ensuite, avec le public. Je dirais que les différents thèmes contribuent à véhiculer une vision utopiste de la vie. Je veux nous autoriser à rêver d’un autre monde. Les professionnels du design ou de la mode voudront peut-être savoir qui est qui et qui a conçu quoi. Pour les visiteurs, cet accrochage est un miroir tendu. Je ne choisis pas mes modèles pour ce qu’ils représentent, mais bien pour leur talent ou leur intelligence.

Vous avez poursuivi votre travail autour de l’impression d’images sur tissu en créant de vrais effets de trompe-l’œil.
J’ai imprimé l’une des images (un portrait de l’artiste Couenne vêtu d’un look de Marie Scerri, ndlr.) sur un double support en velours noir qui permet de créer un effet recto-verso. Détail amusant : sur l’image originale, Couenne pose sur du velours noir. L’effet de trompe-l’œil est saisissant. Pour cet immense tirage, j’ai cousu moi-même les deux pans de tissu. Un moment très flippant qui m’a obligée à entrer littéralement à l’intérieur de l’œuvre. A l’instar des gens qui posent pour moi, mon corps était totalement engagé dans le processus de création. Comme j’accorde une grande importance à la matière, cette approche a vraiment du sens.

En marge des photographies, les visiteurs peuvent découvrir une œuvre imprimée signée Bye Bye Binary. On peut y lire des adjectifs en résonance avec votre travail. Pourquoi ce choix ?
Il s’agissait de diffuser un message engagé de manière à la fois militante et artistique. Ce collectif a pour objectif de rassembler et de diffuser une collection de « fontes post-binaires ». On pourrait s’imaginer que cette nouvelle manière d’écrire est difficile à déchiffrer. C’est tout, sauf le cas.

L’image de conclusion (une photographie qui met en image une veste du designer Florent Seligmann et des bottes en céramique de la plasticienne Luna-Isola Bersanetti) et qui a d’ailleurs été choisie par le Théâtre de Liège comme affiche de la saison 2025/2026, ndlr.) est très symbolique. Elle représente deux danseurs face-à-face, quasiment en déséquilibre. Qu’est-ce qu’elle signifie pour vous ?
D’abord, elle incarne parfaitement le vêtement performatif que j’adore représenter dans mes images. Ces pièces vont à l’encontre du concept de vêtement polluant tel que ceux qui inondent le marché. C’est aussi notre manière de dire : ‘si tu tombes, je tombe’. Pour moi, la Belgique crée son identité dans le multiple et la mise en relation de talents différents qui ont envie de faire les choses autrement.